Étude historique de la peine de mort à travers les civilisations

Étude historique de la peine de mort à travers les civilisations

Introduction

La peine de mort (ou peine capitale) est l’une des plus anciennes sanctions pénales connues. Depuis l’Antiquité, les sociétés humaines l’ont appliquée pour punir les crimes jugés les plus graves, ceux qui menaçaient l’ordre familial, social, politique ou religieux. On en trouve trace dès les premiers codes de lois écrits, comme le Code de Hammurabi vers 1750 av. J.-C., qui prescrit la loi du talion – œil pour œil, dent pour dent – et prévoit la mise à mort du coupable dans de nombreux cas (par exemple, un architecte dont le bâtiment s’effondre sur le propriétaire) fr.wikipedia.org. Longtemps, la peine capitale a constitué la clé de voûte des systèmes répressifs jusqu’au XVIIIe siècle, et elle est demeurée communément admise jusqu’au début du XIXe siècle fr.wikipedia.org. Ce n’est qu’au XIXe siècle que les premières remises en cause sérieuses de ce châtiment apparaissent, lançant le mouvement abolitionniste fr.wikipedia.org.

D’un point de vue sociologique, la fonction de la peine de mort a souvent été double : punir le criminel en expiant sa faute et protéger la communauté en écartant définitivement un individu dangereux fr.wikipedia.org. Avant l’essor de l’emprisonnement comme peine autonome, l’exécution du condamné apparaissait comme un moyen ultime de neutralisation. Les justifications données à travers le temps ont varié : elles furent tour à tour d’ordre religieux (volonté divine ou purification de la communauté), politique (intimidation des opposants, affirmation de l’autorité) et judiciaire (revanche pour la victime, dissuasion générale). Cette étude passe en revue l’application de la peine capitale au fil des grandes époques – de l’Antiquité à nos jours – en examinant les méthodes d’exécution employées et leur évolution, les contextes historiques spécifiques (Grèce et Rome antiques, Chine impériale, monde islamique médiéval, Europe médiévale et moderne, Révolution française, États-Unis aux XIXe-XXe siècles, époque contemporaine), ainsi que les justifications avancées et les débats éthiques suscités. Un tableau récapitulatif présente en outre les méthodes par époque et région de façon comparative.

Grèce antique

la Chine impériale connaissait aussi des mécanismes de clémence. Les condamnations à mort faisaient souvent l’objet d’une révision par l’autorité centrale : sous les Qing, par exemple, les exécutions devaient être approuvées par l’empereur lors des « Assises d’automne », ce qui permettait parfois de commuer la sentence. Certains empereurs ont promulgué des édits réduisant le nombre d’infractions passibles de mort. Ainsi, en 747, l’empereur Tang Xuanzong aurait brièvement aboli la peine de mort (remplacée par la flagellation), même si cette mesure resta très limitée dans le temps libreo.ch. De façon générale cependant, le principe dissuasif est resté central : comme l’énonça l’empereur Kangxi au XVIIe siècle, il importait que « ceux qui ont recours aux tribunaux soient traités sans pitié » afin de leur inspirer une salutaire terreur de la loi nationalgeographic.fr nationalgeographic.fr. La Chine impériale a ainsi incarné un système où la peine capitale, appliquée avec constance et rituel, servait de pilier à la préservation de l’harmonie sociale selon l’idéal confucéen – fût-ce par la peur.

Civilisations islamiques médiévales

Avec l’essor de l’islam à partir du VIIe siècle, un nouveau cadre juridique s’établit dans les califats et sultanats du Moyen Âge : la charia (loi islamique), fondée sur le Coran et les Hadiths, prévoyait elle aussi la peine de mort pour certains crimes. Dans les sociétés islamiques médiévales, la justice criminelle distinguait traditionnellement deux catégories : les hudud (crimes “contre les droits de Dieu”) et les qisas (loi du talion pour les crimes contre les personnes). Parmi les hudud, plusieurs sont passibles de mort selon l’interprétation classique : l’apostasie (abandon public de la foi musulmane) est généralement punie de mort par les juristes de l’époque fr.wikipedia.org; le banditisme de grand chemin (brigandage armé, assimilé à une guerre contre l’ordre public) peut être sanctionné par la crucifixion ou l’exécution, conformément au verset coranique 5:33; l’adultère par une personne mariée, bien qu’absent du Coran, est passible de lapidation d’après plusieurs hadiths (le coupable est enterré jusqu’à la poitrine puis lapidé par la foule) – toutefois, les conditions de preuve étaient si strictes (quatre témoins oculaires distincts de l’acte) que cette peine a été très rarement appliquée en pratique fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org. En six siècles de règne ottoman, par exemple, on ne recense qu’un seul cas avéré de lapidation judiciaire (en 1680) fr.wikipedia.org, signe de son exceptionnalité.

Les méthodes d’exécution dans le monde islamique médiéval étaient variées mais conformes à la tradition régionale et aux prescriptions religieuses. La décapitation au sabre était l’un des moyens les plus courants, considérée comme une mort rapide et appropriée pour de nombreux crimes graves (meurtre avec préméditation, rébellion, etc.). Cette méthode symbolisait la justice rendue *« d’un seul coup » par l’autorité. Dans certains cas de banditisme extrême ou de trahison, les criminels pouvaient être crucifiés après exécution – soit attachés sur un gibet en croix pour exposition publique post-mortem, conformément à la peine mentionnée dans le Coran. La pendaison fut également pratiquée, notamment à l’époque ottomane, pour les crimes de droit commun ou politiques : par exemple, le conquérant mongol Houlagou fit pendre le dernier calife abbasside en 1258, et nombre de vizirs déchus finirent au bout d’une corde à Istanbul. Toutefois, la pendaison n’était pas spécifiquement coranique et relevait plus des influences locales (les Perses sassanides l’utilisaient déjà). La lapidation, comme évoquée, ne concernait que les cas d’adultère avérés et demeura rarissime grâce aux exigences probatoires quasi impossibles à réunir fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org.

D’autres châtiments plus cruels furent ponctuellement employés dans l’histoire islamique médiévale, bien qu’aucun texte religieux ne les prescrive explicitement : par exemple, certains tyrans ou chefs de guerre pratiquèrent l’empalement (enfoncement d’un pieu à travers le corps) pour terroriser l’ennemi – on pense à Tamerlan au XIVe siècle qui érigeait des forêts de pieux –, ou le bûcher (bien que le prophète Mahomet ait interdit de tuer par le feu, estimant que ce supplice était réservé au châtiment divin). Le cas des homosexualités est éclairant : les juristes médiévaux divergent sur la peine, proposant selon les uns la lapidation, selon d’autres de précipiter le coupable du haut d’un édifice fr.wikipedia.org – cette dernière peine restant théorique jusqu’à ce que des groupes comme Daech au XXIe siècle se mettent à la mettre en scène de manière barbare. En général, les autorités préféraient éviter les hudud stricts en recourant aux peines de ta’zir (discrétionnaires) lorsque possible, ce qui signifiait souvent des peines alternatives plus modérées (fouet, amende, prison) plutôt que la mort fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org.

Les justifications de la peine capitale dans le monde islamique médiéval mêlaient le religieux et le dissuasif. Aux yeux des oulémas, il s’agissait d’appliquer la volonté de Dieu telle qu’exprimée dans la charia, pour protéger la Umma (communauté des croyants) des péchés majeurs et des désordres. La notion de dissuasion (tarhib) était également importante : la sévérité des châtiments devait servir d’exemple pour prévenir le crime. Cependant, la charia intègre aussi la notion de pardon et de compensation financière (diya). Ainsi, en cas de meurtre, la famille de la victime pouvait, plutôt que d’exiger le talion (exécution du meurtrier), accepter une diya et gracier le coupable – pratique encouragée par le Coran comme une forme de clémence méritoire. Cette possibilité de rachat monétaire limitait de fait le nombre d’exécutions pour homicide, le pardon étant valorisé. En somme, la peine de mort dans les sociétés islamiques médiévales apparaissait comme un mal nécessaire pour défendre la foi et l’ordre public, mais à appliquer en dernier ressort, avec une préférence prononcée pour la miséricorde lorsque possible (« Mieux vaut pour un imam pardonner par erreur que punir par erreur », dit un adage juridique).

Europe médiévale et moderne

Dans l’Europe médiévale (Ve–XVe siècles) issue de la chute de Rome, la peine de mort demeure une réalité omniprésente, mais son application varie selon les régions et les époques. Au Moyen Âge central, l’appareil régalien de justice étant faible, de nombreux crimes sont réglés par des vendettas familiales ou des compositions pécuniaires (le wergeld germanique). Néanmoins, les autorités (seigneurs locaux, puis rois) cherchent progressivement à monopoliser le droit de punir pour asseoir leur pouvoir. La peine capitale devient alors un outil politique autant que judiciaire, souvent mise en scène publiquement lors d’exécutions spectaculaires sur les places des villes.

Les méthodes d’exécution médiévales reprennent en partie l’héritage romain, agrémentées de châtiments nouveaux. La pendaison s’impose comme la sanction la plus fréquente pour les criminels de droit commun (voleurs, meurtriers de basse condition, bandits de grand chemin) criminocorpus.org. On dressait de hauts gibets à l’entrée des villes ou sur des collines, où les condamnés, pendus en chemise, étaient laissés exposés jusqu’à décomposition complète criminocorpus.org. Le gibet de Montfaucon à Paris, par exemple, pouvait accueillir des dizaines de pendus simultanément. La pendaison était redoutée non seulement pour la mort en elle-même, mais aussi pour l’infamie posthume qu’elle entraînait : le corps du pendu, considéré comme maudit (« male mort »), ne pouvait être enterré en terre consacrée, privant ainsi le défunt de résurrection selon les croyances chrétiennes criminocorpus.org. Cette crainte du déshonneur était telle que certaines familles préféraient parfois noyer discrètement un coupable dans un sac plutôt que de le livrer au bourreau et subir la honte publique du gibet criminocorpus.org. Malgré l’imaginaire populaire de violence, les historiens estiment que les exécutions médiévales étaient moins fréquentes qu’on ne le croit, la prison, les amendes et les châtiments corporels (mutilations, bannissement) étant souvent privilégiés pour les délits ordinaires criminocorpus.org.

Pour les criminels de haut rang ou les affaires d’État, la décapitation à l’épée (ou à la hache) était la méthode de prédilection. Elle était considérée comme une mort plus digne, « réservée » aux nobles, chevaliers ou grands seigneurs convaincus de trahison ou de crimes graves. Par exemple, en Angleterre, de nombreux aristocrates furent décapités sur l’échafaud de la Tour de Londres (Anne Boleyn en 1536, le comte de Essex en 1601, etc.). En France, la décapitation était moins systématique pour les nobles jusqu’à l’époque moderne, mais on peut citer la mort de Marguerite Porete (hérétique béguine brûlée en 1310) ou les exécutions de conspirateurs comme le connétable de Saint-Paul en 1415 (décapité). Outre l’épée, d’autres supplices terrifiants furent employés pour les crimes jugés « monstrueux » : le bûcher devint le sort réservé aux hérétiques et aux sorcières. Sous l’Inquisition, des dizaines de milliers de personnes accusées de déviance religieuse furent brûlées vives, notamment lors de la croisade des Albigeois (XIIIe s.) et de la chasse aux sorcières à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance (XVe-XVIIe s.). La combustion sur un bûcher en place publique était vue comme un moyen de purifier l’âme du condamné par le feu tout en intimant la terreur du châtiment divin. Jeanne d’Arc, condamnée pour hérésie, en est l’exemple emblématique (rouen, 1431).

Parmi les autres supplices médiévaux notoires, on doit citer le écartèlement réservé aux régicides et traîtres d’exception : en France, le régicide François Ravaillac fut écartelé en 1610 (chevaux tirant les membres jusqu’à dislocation) après avoir assassiné Henri IV. En Angleterre, la peine de pendaison, éviscération et écartèlement (hung, drawn and quartered) était en vigueur pour les grands traîtres : le condamné était pendu presque à mort, puis éventré et émasculé vivant, et enfin décapité, son corps étant découpé en quartiers exposés aux portes de la ville. Ces cruautés extrêmes visaient à marquer les esprits de manière indélébile. Le supplice de la roue était également courant sur le continent (France, Allemagne) pour les meurtriers de sang froid et les brigands auteurs de carnages : le condamné, attaché sur une roue de charrette, subissait la brisure des os longs par barre de fer, le bourreau l’achevant d’un coup sur la poitrine (coup de grâce) avant d’exposer le corps sur la roue dressée fr.wikipedia.org. Ce châtiment, en usage du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, symbolisait la punition des crimes « atroces » par la dislocation du corps du coupable.

Sur le plan des justifications et du contexte social, la peine de mort médiévale s’inscrivait dans une vision du monde profondément religieuse. La justice humaine se voulait le reflet de la justice divine : punir le malfaiteur jusqu’à la mort, c’était à la fois protéger la communauté des influences démoniaques et offrir au condamné l’occasion d’expier ses fautes avant le Jugement dernier. D’où le rituel omniprésent de la « bonne mort » du supplicié : on exhortait le condamné à se confesser et à se repentir juste avant l’exécution, afin de sauver son âme même si son corps était voué à la destruction criminocorpus.org. Par ailleurs, l’exécution publique avait un aspect de spectacle populaire et pédagogique : la foule était conviée pour témoigner du triomphe de la loi sur le crime, et la théâtralisation (dernières paroles du condamné, exhibition de la tête tranchée, etc.) servait d’avertissement aux méchants. Cependant, dès la fin du Moyen Âge, on voit émerger des voix prônant plus de mesure : l’Église, par exemple, encourageait la clémence et la miséricorde dans la mesure du possible (« Misericordia superat judicium » – la miséricorde triomphe du jugement). Au XVe siècle, certains juristes comme Alain de l’Isle questionnent la multiplicité des mises à mort violentes et suggèrent que la punition divine suffit parfois. Néanmoins, jusqu’à l’époque moderne, la peine de mort resta un instrument assumé du pouvoir en Europe.

À l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), l’Europe voit s’opérer un lent mouvement de « civilisation des mœurs » (selon l’historien Norbert Elias) qui conduit à une atténuation des cruautés punitives. Les exécutions demeurent fréquentes, mais on cherche à les rationaliser. Des penseurs humanistes et des philosophes des Lumières commencent à remettre en cause la peine capitale elle-même. Le grand tournant intellectuel survient en 1764 avec la publication du traité Des délits et des peines de Cesare Beccaria (juriste italien), qui dénonce la peine de mort comme inhumaine, non dissuasive et irréversible en cas d’erreur, préconisant de lui préférer la prison à perpétuité. Beccaria écrit : « La peine de mort n’est pas un droit, dès lors que je ne peux imaginer avoir consenti à remettre entre les mains de mon semblable le droit de me tuer ». Ses idées seront diffusées à travers l’Europe, soutenues par Voltaire, Diderot et d’autres philosophes.

Dans la pratique judiciaire des monarchies d’Ancien Régime, on observe tout de même une certaine standardisation des méthodes. Au XVIIIe siècle, en France, la plupart des condamnés de droit commun sont pendus, les nobles décapités à l’épée, les parricides sont roués vifs, les incendiaires et les faux-monnayeurs sont brûlés vifs, les régicides subissent l’écartèlement (exemple extrême : Damiens, qui avait tenté d’assassiner Louis XV, fut écartelé en 1757). Toutefois, le sentiment d’horreur suscité par ces supplices commence à gagner la société civile. Sous Louis XVI, influencé par les Lumières, le roi et ses ministres envisagent de rendre les exécutions moins atroces sans pour autant abolir la peine de mort. C’est ainsi qu’en 1780, on abolit en France la question préparatoire (torture avant l’exécution). En 1791, la toute nouvelle Assemblée constituante, animée d’idées humanitaires, supprime les supplices corporels et uniformise la peine de mort par décapitation pour tous les condamnés, sans distinction de classe.

La Révolution française

La Révolution française marque un moment paradoxal dans l’histoire de la peine de mort : d’un côté, les principes des Lumières et l’élan républicain poussent à envisager l’abolition ; de l’autre, la période révolutionnaire va connaître une explosion du nombre d’exécutions pour raisons politiques. Dès 1789, plusieurs députés (dont Le Peletier de Saint-Fargeau et Robespierre) proposent de supprimer la peine capitale, la jugeant contraire à l’idéal de fraternité et inutile pour prévenir le crime. Robespierre affirme alors : « La peine de mort est le signe le plus visible et le plus frappant de la tyrannie… je veux effacer du Code cet écrit de sang qui proclame la haine et la vengeance ». Cependant, cette tendance abolitionniste n’aboutit pas : une majorité d’élus considère que l’État doit conserver ce pouvoir suprême pour les crimes les plus gravesessentiels.bnf.fressentiels.bnf.fr. Le compromis trouvé est la recherche d’une exécution « plus humaine » et égale pour tous. C’est dans cet esprit qu’est adoptée en 1791 la guillotine, nouvelle machine à décapiter inventée par le docteur Guillotin et mise au point par le docteur Louis. La guillotine, avec sa lame oblique tombant d’un cadre haut, promet une mort instantanée et indolore, sans distinction de rang socialessentiels.bnf.fr. Elle remplace avantageusement le bourreau à l’épée, dont les coups pouvaient rater et prolonger l’agonie. Louis XVI lui-même, paradoxalement, signera en mars 1792 le décret instituant la guillotine comme outil d’exécution unique en France archinoe.net (quelques mois avant d’en faire l’expérience personnelle sur l’échafaud).

Au cours de la période de la Terreur (1793-1794), la guillotine va fonctionner à plein régime pour éliminer les « ennemis de la Révolution ». Des milliers de personnes sont exécutées après des procès expéditifs du Tribunal révolutionnaire. On estime qu’environ 16 500 personnes furent guillotinées durant ces deux années, dont Louis XVI (21 janvier 1793) et la reine Marie-Antoinette (16 octobre 1793), mais aussi de simples paysans vendéens, des prêtres réfractaires, et plus tard des révolutionnaires eux-mêmes pris dans les purges (Danton, Desmoulins, et finalement Robespierre en juillet 1794). La guillotine, louée au début comme un progrès humanitaire, devint ainsi le symbole sanglant de la Révolution aux yeux de l’Europe. Victor Hugo écrira plus tard : « L’échafaud est le seul édifice que les révolutions ne démolissent pas », soulignant que malgré le renversement de l’Ancien Régime, la peine de mort, elle, n’avait pas été abolieessentiels.bnf.fressentiels.bnf.fr.

Après la Révolution, la guillotine demeura l’outil d’exécution officiel en France tout au long du XIXe et du XXe siècle, et ce n’est qu’en 1981 que la France abolit finalement la peine capitale. Néanmoins, la période révolutionnaire ouvrit un débat passionné sur le bien-fondé de la peine de mort : des penseurs et hommes politiques français du XIXe siècle (Lamartine, Hugo, etc.) héritèrent de cette réflexion et militèrent en faveur de l’abolition au nom du respect de la vie humaine. Ainsi, la Révolution française, tout en intensifiant provisoirement le recours à la peine de mort, a également semé les germes de sa future remise en question universelle.

Les États-Unis aux XIXe et XXe siècles

Aux États-Unis, l’histoire de la peine de mort est marquée par une tension persistante entre la tradition punitive héritée d’Europe et les évolutions techniques et juridiques visant à la limiter. Au XIXe siècle, la peine capitale est en vigueur dans l’ensemble des États américains, généralement par pendaison publique. Néanmoins, l’époque voit naître les premières abolitions locales : le Michigan abolit la peine de mort pour les crimes de droit commun dès 1846 (première juridiction anglophone au monde à le faire), suivi par le Wisconsin en 1853. D’autres États adoptent des moratoires temporaires ou restreignent la peine de mort à quelques crimes exceptionnels. Ces initiatives restent minoritaires, et globalement, la peine capitale continue d’être appliquée aux États-Unis, mais la volonté de la rendre « plus humaine » se manifeste de plus en plus.

C’est ainsi que les États-Unis seront pionniers dans l’introduction de nouvelles méthodes d’exécution technologiques. En 1888, l’État de New York adopte la chaise électrique comme mode d’exécution, à la suite des travaux d’un comité cherchant une alternative à la pendaison jugée trop incertaine et barbare. La première exécution sur la chaise électrique a lieu le 6 août 1890 à la prison d’Auburn : le condamné, William Kemmler, devient le premier homme de l’histoire exécuté par électrocution fr.wikipedia.org. L’événement, très médiatisé, révèle toutefois les tâtonnements de la technique – la première décharge ne le tue pas, et il faut une deuxième, puis une troisième décharge de plus d’une minute pour l’achever, dans une scène épouvantable qui voit le corps du supplicié fumer et sentir le brûlé fr.wikipedia.org. Malgré ce départ chaotique, la chaise électrique (surnommée « Old Sparky ») s’impose rapidement dans de nombreux États au tournant du XXe siècle comme symbole de modernité pénale. Elle sera utilisée durant des décennies : environ 4 300 personnes ont été exécutées sur la chaise électrique aux États-Unis entre 1890 et 1970.

Au XXe siècle, les États-Unis expérimentent également d’autres méthodes. En 1924, le Nevada inaugure la première chambre à gaz pour exécuter un condamné (le détenu Gee Jon est asphyxié au cyanure d’hydrogène). Ce procédé devait être plus propre et discret, mais il s’avèrera lui aussi macabre et aléatoire (certaines exécutions dureront plus de 10 minutes d’agonie dans la chambre hermétique). Par la suite, quelques États autoriseront en alternative le peloton d’exécution (fusillade par des tirs de soldats ou de policiers, méthode utilisée notamment en Utah, où le célèbre Gary Gilmore choisira d’être fusillé en 1977). Enfin, dans les années 1970-1980, les États-Unis introduisent la méthode aujourd’hui la plus répandue dans le pays : l’injection létale. La première injection létale est administrée au Texas en 1982. Ce protocole consiste à attacher le condamné sur une civière et à lui injecter successivement trois substances (un anesthésique, un paralysant musculaire, puis un produit arrêtant le cœur). Conçue pour endormir le condamné avant sa mort, l’injection létale était présentée comme la méthode la plus « humaine » jamais utilisée – même si, en pratique, de nombreux cas d’injections bâclées ont provoqué des souffrances et relancé la polémique.

L’évolution des méthodes s’accompagne aux États-Unis d’une évolution des mentalités et du cadre légal au XXe siècle. Un tournant majeur survient en 1972 : la Cour suprême, par l’arrêt Furman v. Georgia, déclare les lois sur la peine de mort alors en vigueur inconstitutionnelles car arbitraires (violation du 8e amendement sur les peines cruelles et inhabituelles). Ce moratoire judiciaire entraîne la commutation de centaines de condamnations à mort en peines de prison à vie. Cependant, dès 1976 (Gregg v. Georgia), la Cour suprême autorise la reprise des exécutions en validant de nouvelles lois censées apporter plus de garanties (procédures en deux phases, prise en compte de circonstances atténuantes/aggravantes, etc.). La peine de mort est donc rétablie dans de nombreux États à la fin des années 1970essentiels.bnf.fr. Depuis, les États-Unis affichent un profil atypique parmi les démocraties occidentales : la peine capitale y reste appliquée dans une partie du pays (essentiellement les États du Sud et quelques États du Midwest), tandis que d’autres États l’ont abolie en droit ou en pratique. Le débat éthique y est particulièrement vif, opposant les partisans de la peine capitale – qui invoquent la nécessité de punir les criminels les plus dangereux et de rendre justice aux victimes – aux abolitionnistes, qui soulignent le risque d’erreurs judiciaires, le manque d’effet dissuasif avéré et l’aspect inhumain ou discriminatoire de la sentence de mort. Des scandales, comme l’exécution de mineurs ou de handicapés mentaux (interdite seulement en 2005 par la Cour suprême), ou les révélations sur des innocents condamnés à mort puis disculpés grâce à l’ADN, ont alimenté un fort mouvement abolitionniste américain depuis les années 1990. En conséquence, plusieurs États ont aboli la peine de mort ces dernières décennies (Illinois, Nouveau-Mexique, Maryland, etc.), et le nombre d’exécutions annuelles tend globalement à diminuer aux États-Unis au XXIe siècle. Néanmoins, le pays reste l’un des derniers du monde occidental à appliquer des exécutions de manière régulière – ce qui contribue à le placer au centre du débat mondial sur les droits de l’homme.

Période contemporaine (XXe-XXIe siècles)

À l’échelle mondiale, l’après-Seconde Guerre mondiale voit une tendance générale à l’abolition de la peine de mort, portée par la valorisation des droits de l’homme et la prise de conscience des horreurs commises au nom de la loi. De nombreux pays, notamment en Europe et en Amérique latine, abolissent la peine capitale soit dès l’après-guerre (l’Italie en 1948, l’Allemagne de l’Ouest en 1949, etc.), soit dans les décennies suivantes (Royaume-Uni en 1965, Canada en 1976, France en 1981, etc.). Des traités internationaux entérinent ce mouvement : le Deuxième Protocole facultatif au Pacte ONU sur les droits civils et politiques (1989) vise l’abolition universelle, et le Conseil de l’Europe fait de l’absence de peine de mort un critère d’adhésion depuis les années 1990. Désormais, l’intégralité des pays européens (à l’exception du Belarus) a banni la peine capitale, faisant du continent un espace de facto abolitionniste.

Globalement, au début du XXIe siècle, environ les deux tiers des pays du monde ont renoncé à appliquer la peine de mort. En 2023, par exemple, 144 pays étaient abolitionnistes en droit ou en pratique, tandis que 55 pays maintenaient activement les exécutions fr.wikipedia.org. À la fin 2024, 112 États avaient entièrement aboli la peine de mort pour tous les crimes, et au total 145 pays l’avaient soit abolie en droit soit n’y recouraient plus (moratoire de fait) fr.wikipedia.orgessentiels.bnf.fr. Les exécutions sont aujourd’hui concentrées dans un nombre restreint de pays. Selon Amnesty International, 80% des exécutions mondiales recensées ont lieu chaque année en seulement quelques États : Chine (de loin le pays le plus exécutant, bien que les chiffres exacts soient secrets d’État), Iran, Arabie saoudite, Viêt Nam, Pakistan et États-Unis figurent régulièrement parmi les principaux utilisateurs de la peine de mortessentiels.bnf.fr. La Chine, en particulier, exécuterait des milliers de personnes par an (souvent par injection létale ou balle dans la nuque), notamment pour des crimes de corruption, de drogue ou de violence, bien que des réformes récentes aient réduit le nombre de crimes passibles de mort. En Arabie saoudite, les exécutions sont publiques et se font principalement par décapitation au sabre – le royaume est le seul pays à pratiquer encore couramment la beheading comme méthode d’exécution officielle au XXIe siècle en.wikipedia.org en.wikipedia.org. L’Iran recourt surtout à la pendaison, y compris pour des crimes tels que le trafic de drogue ou l’adultère, parfois en public (par exemple, suspension de la grue). Des États comme le Japon et Singapour continuent également de pendre les condamnés (le Japon dans le plus grand secret, Singapour de manière assumée dans sa lutte contre le trafic de stupéfiants). Aux États-Unis, la peine de mort subsiste dans certains États, la méthode de l’injection létale étant la plus utilisée, malgré les difficultés d’approvisionnement en substances et les controverses sur les exécutions ratées.

Les débats éthiques et sociaux contemporains autour de la peine de mort opposent des arguments désormais bien définis. Les partisans avancent que la peine capitale, appliquée aux pires criminels, constitue une juste rétribution (principe du talion) et qu’elle prévient la récidive en éliminant définitivement les individus dangereux. Certains gouvernements l’utilisent aussi comme instrument politique de répression ou affichent son maintien pour son supposé effet dissuasif sur la criminalité. En face, les abolitionnistes soulignent le caractère irréversible de l’exécution (or aucune justice n’est à l’abri d’erreurs, comme en témoignent les condamnés innocentés après coup), son inefficacité dissuasive démontrée par de nombreuses études, ainsi que son arbitraire social (il est établi que, dans bien des pays, ce sont les plus défavorisés ou les minorités ethniques qui peuplent majoritairement les couloirs de la mort). Surtout, ils mettent en avant le droit fondamental à la vie et l’idéal d’une justice non-vengeresse visant la réinsertion plutôt que la suppression du coupable. Ces arguments ont fait leur chemin dans l’opinion de nombreux pays, où l’abolition est désormais considérée comme un progrès moral. Même dans les sociétés conservant la peine de mort, on observe souvent une baisse du soutien populaire lorsque des alternatives (comme la perpétuité réelle) sont proposées, ou lorsque des exécutions choquantes suscitent l’émoi.

En ce début de XXIe siècle, la peine capitale est ainsi en recul global, mais n’a pas disparu. L’ONU a adopté depuis 2007 plusieurs résolutions appelant à un moratoire universel des exécutions, qui, bien que non contraignantes, reflètent la position majoritaire des États membres pour la fin de ce châtiment fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org. Cependant, les pays les plus peuplés – Chine, Inde, États-Unis, Indonésie, Pakistan, Nigeria, Bangladesh, etc. – n’ont pas encore aboli, ce qui fait qu’une majorité de la population mondiale vit encore sous des juridictions pouvant recourir à la peine de mort fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org. La bataille abolitionniste se poursuit donc, portée par des organisations internationales et des militants des droits humains. Comme l’écrivait Victor Hugo au XIXe siècle, « supprimer la peine de mort, c’est écrire au sommet de la loi : plus de sang versé ! ». Le chemin vers cet idéal est entamé depuis plus de deux siècles et, bien que l’issue universelle n’en soit pas encore assurée, l’histoire récente montre une nette progression de l’humanité vers l’abandon de la peine de mort.

Tableau comparatif des méthodes d’exécution par époque et région

Époque / Civilisation Méthodes d’exécution pratiquées (exemples)
Grèce antique Poison (ciguë) pour les citoyens archaeology.wiki; précipitation du haut d’un rocher (barathre) archaeology.wiki; supplice du tympanon (attaché sur une planche) archaeology.wiki; éventuelle lapidation (rare, cas de justice populaire).
Rome antique Décapitation à l’épée (méthode « clémente » pour citoyens); crucifixion pour esclaves et étrangers bbc.com; exposition aux bêtes (arène); noyade en sac (parricide); précipitation de la roche Tarpéienne (traîtres); bûcher (incendiaires).
Chine impériale Décapitation (méthode courante, châtiment infamant); strangulation par cordon soyeux; lingchi (supplice des « mille coupures » pour crimes exceptionnels) fr.wikipedia.org; cage en bois (strangulation lente) nationalgeographic.fr; éventration ou ébouillantement (cas anecdotiques).
Monde islamique médiéval Décapitation au sabre (méthode fréquente); pendaison ou gibet (pratiquée selon contextes locaux); lapidation (adultère, prévue par hadith mais très rarement appliquée) fr.wikipedia.org; crucifixion (punition mentionnée pour brigands, souvent post-mortem); jet du haut d’un lieu élevé (théorique, cas d’homosexualité, pas attesté historiquement hors propagande récente) fr.wikipedia.org.
Europe médiévale Pendaison (la plus fréquente, pour voleurs et meurtriers) criminocorpus.org; décapitation à l’épée ou à la hache (réservée aux nobles ou grands criminels); bûcher (hérétiques, sorcières); roue (meurtriers atroces, brigands) fr.wikipedia.org; écartèlement (traîtres, régicides); noyade (infanticides dans un sac, par ex.).
Europe moderne (16ᵉ-18ᵉ s.) Pendaison (toujours courante pour crimes communs); décapitation (nobles et, dès 1792 en France, tous les condamnés via guillotine)essentiels.bnf.fr; roue (encore en usage jusqu’à fin 18ᵉ); bûcher (disparaît fin 18ᵉ avec dernières sorcières); fusillade (apparait à la fin, exécution militaire).
Révolution française (1789-94) Guillotine (décapitation mécanisée, standard nationale) – milliers d’exécutions durant la Terreuressentiels.bnf.fressentiels.bnf.fr. Autres supplices abolis en 1791 (plus de roue, plus de bûcher, etc.).
États-Unis (19ᵉ-20ᵉ s.) Pendaison (méthode dominante jusqu’à la fin du 19ᵉ) ; chaise électrique (introduite en 1890, d’abord à New York) fr.wikipedia.org; chambre à gaz (depuis 1924, ex: Nevada) ; peloton d’exécution (ex: Utah) ; injection létale (dès 1980s, méthode principale au 21ᵉ siècle).
Époque contemporaine Injection létale (États-Unis, Chine, Vietnam…) ; pendaison (par ex. Japon, Iran, Irak) ; décapitation (Arabie saoudite, seul pays pratiquant encore principalement la beheading en.wikipedia.org) ; fusillade (Chine, Indonésie, Corée du Nord…) ; lapidation (encore prévue par la loi dans quelques pays islamiques pour adultère, mais application extrêmement rare).
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