26 Mai L’implantation mondiale de la psychanalyse : étude historique par région et pays
La psychanalyse, née à Vienne à la fin du XIXe siècle sous l’impulsion de Sigmund Freud, s’est diffusée au XXe siècle à travers le monde de façon inégale et souvent tumultueuse. Cette étude retrace l’histoire de son implantation sur différents continents (Europe, Amériques, Afrique, Asie, Moyen-Orient, Océanie), en examinant pour chaque grande région – et pays par pays – les phases d’acceptation et de résistance, les influences politiques ou culturelles marquantes, ainsi que les évolutions les plus récentes. Certains pays ont vu la psychanalyse profondément s’enraciner dans la culture et la formation des thérapeutes, tandis qu’ailleurs elle a été marginalisée, voire interdite pour des raisons idéologiques ou culturelles. Nous présentons ci-dessous une synthèse structurée par régions et par nations, suivie d’une conclusion sur les grandes tendances mondiales.
Europe
L’Europe est le berceau de la psychanalyse et le continent où elle a initialement prospéré avant de traverser des périodes de crise liées aux bouleversements politiques du XXe siècle. Introduite par Freud et son cercle à Vienne, Zurich, Berlin ou Budapest dans les années 1900-1920, la psychanalyse a essaimé dans la plupart des pays européens. Elle a connu à la fois des soutiens fervents et de vives oppositions, souvent en lien avec l’histoire politique du continent.
France
En France, la psychanalyse s’implante dans l’entre-deux-guerres (autour de figures comme Marie Bonaparte) mais reste initialement circonscrite aux milieux intellectuels et médicaux. Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement psychanalytique français prend son essor malgré d’importantes divisions internes (notamment autour de Jacques Lacan qui provoque une scission de la Société psychanalytique de Paris dans les années 1950) fr.wikipedia.org. La France devient l’un des foyers majeurs de la psychanalyse mondiale, tant par le nombre de praticiens que par l’influence théorique (école lacanienne, psychosomatique de l’école de Paris, etc.). La psychanalyse y imprègne durablement la culture et les sciences humaines – par exemple, les notions d’« inconscient », de « lapsus » ou de « refoulement » sont largement entrées dans le vocabulaire courant. Néanmoins, la France a également connu des polémiques récentes, notamment dans le domaine de l’autisme où l’approche psychanalytique a suscité des critiques au nom de l’evidence-based medicine. Malgré ces débats, la psychanalyse demeure bien implantée institutionnellement (sociétés psychanalytiques actives, enseignement universitaire) et jouit d’une acceptation culturelle relativement large au regard d’autres pays.
Royaume-Uni
La Grande-Bretagne fut l’un des premiers pays à accueillir Freud (exilé à Londres en 1938) et à développer un mouvement psychanalytique vigoureux. La Société britannique de psychanalyse, fondée en 1913 par Ernest Jones, s’est affirmée dès les années 1920-1930 comme un centre important en.wikipedia.org. Après la guerre, le Royaume-Uni est marqué par l’essor des courants issus de Freud comme l’école kleinienne (autour de Melanie Klein) et l’école d’Anna Freud, qui engendrent un débat théorique intense au sein de la British Psychoanalytical Society. La psychanalyse influence profondément la psychiatrie britannique jusqu’aux années 1950, période où elle était l’approche psychothérapeutique dominante en.wikipedia.org. Par la suite, le Royaume-Uni voit émerger d’autres formes de thérapie (par exemple la thérapie comportementale puis cognitive), souvent préférées dans le système de santé publique. Cela traduit une certaine résistance académique et médicale envers la psychanalyse jugée moins scientifique. Cependant, le pays maintient une tradition psychanalytique vivace : des instituts de formation réputés (Londres, Oxford, etc.), une intégration de la psychanalyse avec d’autres courants (théorie de l’attachement de John Bowlby, par exemple, issue d’une critique de l’orthodoxie freudienne en.wikipedia.org), et une présence continue de la psychanalyse dans les disciplines artistiques et littéraires. Aujourd’hui, la psychanalyse britannique coexiste donc avec d’autres approches, ayant perdu son monopole d’antan mais conservant un noyau d’adhérents et une influence culturelle.
Allemagne et Autriche
L’Autriche et l’Allemagne occupent une place centrale dans l’histoire de la psychanalyse : Vienne est le berceau de Freud, et Berlin abrite dans les années 1920 l’un des premiers instituts psychanalytiques (dirigé par Karl Abraham). Toutefois, la montée du nazisme en 1933 porte un coup dévastateur à la psychanalyse dans les pays germanophones. Considérée par le régime hitlérien comme une « science juive » subversive, la psychanalyse est persécutée : les ouvrages de Freud sont brûlés publiquement dès 1933 en Allemagne encyclopedia.ushmm.org, de nombreux psychanalystes doivent fuir (Freud quitte Vienne en 1938, des analystes allemands émigrent aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Amérique latine, etc.), et la discipline est contrainte de se « germaniser » ou de disparaître. Sous le IIIe Reich, une Aryanisation de la psychanalyse s’opère : les rares praticiens restés sur place rebaptisent et adaptent la théorie pour la rendre conforme à l’idéologie nazie, aboutissant à une forme appauvrie de psychothérapie alignée sur l’État researchgate.net. Après 1945, l’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche s’emploient à réintroduire la psychanalyse, avec l’aide d’analystes revenus d’exil. Des sociétés psychanalytiques se reforment à Vienne, Berlin, Francfort, etc., souvent sous l’égide de l’Association Psychanalytique Internationale (API). La renaissance est cependant progressive : il faut surmonter la méfiance d’une partie de la population et de la communauté médicale envers une discipline stigmatisée par le nazisme. Dans les décennies d’après-guerre, la psychanalyse finit par retrouver une place importante : en RFA, elle est intégrée dans la formation des psychiatres et partiellement remboursée par les systèmes d’assurance-maladie, tandis qu’en Autriche, Vienne redevient un pôle intellectuel de la psychanalyse. En Allemagne de l’Est (RDA) en revanche, le régime communiste ne favorise pas la psychanalyse (voir plus bas la situation en URSS). De nos jours, l’Allemagne compte deux grandes sociétés psychanalytiques historiques (DPV et DPG) fr.wikipedia.org, et la pratique psychanalytique y est reconnue, bien qu’en concurrence avec les thérapies comportementales et les approches biologiques en psychiatrie.
Italie et autres pays d’Europe occidentale
En Italie, la psychanalyse s’implante dès les années 1920 (un proche de Freud, Edoardo Weiss, initie le mouvement italien), mais le climat fasciste n’est guère propice à son développement. Après la guerre, l’Italie connaît un essor de la psychanalyse : la Société psychanalytique italienne (SPI) est refondée et admise à l’API, et des figures comme Ernst Bernhard ou Cesare Musatti diffusent la pensée freudienne. L’Italie demeure cependant marquée par une tradition psychiatrique biologique forte, ce qui limite l’influence de la psychanalyse dans les institutions publiques. Néanmoins, la culture italienne intègre de nombreux apports psychanalytiques, notamment via la littérature et le cinéma, et le pays compte aujourd’hui plusieurs sociétés de psychanalyse actives (freudiennes et lacaniennes) fr.wikipedia.org.
D’autres pays d’Europe occidentale ont connu des trajectoires similaires : en Suisse, la psychanalyse est d’abord introduite par Carl Gustav Jung à Zurich (avant sa rupture avec Freud en 1913), puis on voit se créer des groupes freudiens à Genève et Lausanne. Aux Pays-Bas et en Scandinavie, de petits cercles psychanalytiques apparaissent dès l’entre-deux-guerres. Par exemple, une Société psychanalytique danoise et une société suédoise existent depuis les années 1940-50, témoignant d’une diffusion dans tout le nord de l’Europe fr.wikipedia.org fr.wikipedia.org. Ces pays, attachés à des approches sociales et médicales pragmatiques, ont parfois accueilli la psychanalyse avec prudence, mais elle y a tout de même trouvé sa place parmi les méthodes psychothérapeutiques disponibles.
Europe centrale et orientale
L’Europe centrale fut un terreau fertile de la psychanalyse avant la période soviétique. La Hongrie, patrie de Sándor Ferenczi (proche disciple de Freud), constitue dans les années 1910-20 un centre important : une Association psychanalytique hongroise est fondée en 1913, mais elle sera dissoute sous le régime autoritaire de Horthy. De même, la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Roumanie comptaient des médecins intéressés par Freud dès l’entre-deux-guerres. Cependant, après 1945, le rideau de fer bloque pour plusieurs décennies le développement officiel de la psychanalyse dans toute l’Europe de l’Est. Sous l’orthodoxie marxiste-léniniste, la psychanalyse est généralement perçue comme une « science bourgeoise » incompatible avec le matérialisme dialectique. L’URSS fournit l’exemple le plus net de rejet idéologique : en Russie, la psychanalyse avait suscité un engouement notable dans les années 1920 (traductions de Freud en russe, création en 1921 d’une Association psychanalytique à Moscou) fr.wikipedia.org. Mais dès le début des années 1930, sous Staline, elle est interdite et tombe dans l’oubli, car la conception freudienne de l’appareil psychique (le sujet divisé entre conscient et inconscient) était jugée incompatible avec le marxisme officiel fr.wikipedia.org. De nombreux psychanalystes soviétiques sont réduits au silence ou contraints de se reconvertir. Ce n’est qu’à la fin des années 1980, avec la perestroïka, puis surtout après la chute de l’URSS en 1991, que la psychanalyse renaît à l’Est. En Russie postsoviétique, on observe un retour de Freud dans la culture et la médecine : des œuvres freudiennes sont à nouveau publiées, et des groupes psychanalytiques se constituent à Saint-Pétersbourg, Moscou, etc. La psychanalyse redevient « présente dans la culture russe » contemporaine fr.wikipedia.org, même si le nombre de praticiens formés reste limité et principalement concentré dans les grandes villes. De façon comparable, les pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Pologne, Roumanie, etc.) rétablissent depuis les années 1990 des sociétés psychanalytiques ou des groupes d’études affiliés à l’API. Ces relances se font souvent avec l’aide de collègues d’Europe de l’Ouest, dans un contexte de soif de rattrapage scientifique après des décennies d’isolement. La diffusion de la psychanalyse à l’Est reste toutefois freinée par la concurrence d’approches psychiatriques plus biologiques ou comportementales qui se sont implantées après la fin du communisme.
Amériques
Le continent américain a joué un rôle crucial dans l’expansion de la psychanalyse au-delà de l’Europe. Toutefois, la situation diffère entre l’Amérique du Nord, où la psychanalyse a d’abord prospéré puis a vu son influence contestée, et l’Amérique latine, où elle a connu une véritable terre d’élection dans certains pays (en particulier dans le Cône Sud). Cette section aborde successivement l’implantation aux États-Unis (et, plus brièvement, au Canada et au Mexique) puis dans les principaux pays d’Amérique latine.
États-Unis
Aux États-Unis, l’histoire de la psychanalyse est marquée par un enthousiasme initial puis par une remise en question à partir des années 1970. Les premières influences freudiennes arrivent dès avant 1920, mais c’est surtout à partir des années 1930 que la psychanalyse prend son essor, notamment grâce à l’arrivée de nombreux psychanalystes européens fuyant le nazisme (tels que Heinz Hartmann, Ernst Kris, Karen Horney, etc.). Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis deviennent même le nouveau centre de gravité du mouvement psychanalytique mondial. Durant les années 1940-1950, la psychanalyse jouit d’un prestige considérable : elle domine la psychiatrie américaine au point d’en constituer le paradigme principal du diagnostic et du traitement des troubles mentaux en.wikipedia.org. Les instituts de psychanalyse se multiplient (par exemple à New York, Chicago, Boston, Los Angeles) et forment des centaines de thérapeutes. Vers 1960, on estime que la majorité des professeurs de psychiatrie des grandes universités américaines sont formés à la psychanalyse, ce qui témoigne de son intégration institutionnelle.
Cependant, à partir des années 1960-1970, la psychanalyse aux États-Unis entre dans une phase de crise et de critique. D’une part, l’essor des thérapies comportementales et cognitives (Aaron Beck, Albert Ellis, etc.) offre des alternatives plus courtes et présentées comme plus scientifiques aux troubles psychiques, séduisant les milieux académiques et les financeurs publics en.wikipedia.org. D’autre part, l’arrivée des psychotropes (antidépresseurs, neuroleptiques) modifie la pratique psychiatrique en la biologisant davantage. En parallèle, la psychanalyse subit les attaques du mouvement anti-psychiatrie et de certains intellectuels (par exemple, les critiques de Popper sur la non-falsifiabilité de la théorie freudienne, ou le livre La Freudian Fraud de E. Fuller Torrey dans les années 1990). Ces facteurs contribuent à réduire la place de la psychanalyse dans les hôpitaux universitaires et les manuels de psychologie américains. Néanmoins, elle conserve une présence notable dans le secteur privé (cabinet de praticiens en libéral, généralement pour une patientèle aisée) et dans la culture populaire (références fréquentes à Freud dans la littérature, le cinéma ou la vie quotidienne). Au début du XXIe siècle, on compte encore environ 3 000 psychanalystes diplômés exerçant aux États-Unis en.wikipedia.org et une trentaine d’instituts de formation agréés par l’American Psychoanalytic Association. Les courants psychanalytiques américains se sont diversifiés (psychanalyse classique d’inspiration ego psychology, courant interpersonnel et culturel, courant lacanien plus marginal, etc.). On observe aussi des efforts pour adapter la psychanalyse aux demandes actuelles : par exemple, des thérapies psychodynamiques brèves ont été développées pour prouver l’efficacité de l’approche analytique sur des durées réduites. En somme, aux États-Unis, la psychanalyse est passée du statut de théorie dominante à celui de voix parmi d’autres dans le champ de la santé mentale, faisant l’objet à la fois de résistances (au nom de la science ou de l’efficacité) et d’une fidélité persistante de la part de certaines élites culturelles et cliniques.
(Note : Le Canada et le Mexique, pour des raisons de concision, seront évoqués brièvement ici.)
Canada : La psychanalyse est introduite au Canada principalement après la Seconde Guerre mondiale, souvent via des psychiatres formés aux États-Unis ou en Europe. Montréal voit la création dans les années 1950 d’un groupe psychanalytique lié à l’API, de même que Toronto un peu plus tard. La particularité canadienne tient à la dualité linguistique : au Québec francophone, l’influence de la psychanalyse française (Lacan, Dolto, etc.) se fait sentir dans les années 1970-80, tandis que le Canada anglophone suit plutôt la tradition nord-américaine classique. La psychanalyse canadienne reste confinée aux grands centres urbains et n’a pas pénétré massivement le système de santé public (qui privilégie les approches brèves et psychiatriques). Elle est cependant enseignée dans certaines universités (notamment au département de psychologie de l’Université de Montréal) et pratiquée en cabinet privé par un nombre réduit de cliniciens.
Mexique : Le Mexique a joué un rôle intéressant dans la diffusion de la psychanalyse en Amérique du Nord. Dès les années 1940, le pays attire des intellectuels et psychanalystes exilés d’Europe (par exemple, la psychanalyste allemande Erich Fromm s’y installe et contribue à la fondation d’un institut psychanalytique à Mexico). L’Association psychanalytique mexicaine est créée en 1956, marquant la structuration officielle du mouvement freudien. La psychanalyse mexicaine intègre des influences diverses, de Freud à Lacan, et entretient historiquement des liens étroits avec l’Argentine et les États-Unis. Aujourd’hui, on trouve des psychanalystes formés à Mexico et Guadalajara, et la discipline est reconnue dans les milieux universitaires et artistiques mexicains, même si elle demeure une pratique minoritaire par rapport aux besoins de santé mentale de la population.
Argentine
L’Argentine se distingue par l’ampleur exceptionnelle de l’ancrage de la psychanalyse dans sa société. On qualifie souvent Buenos Aires de « capitale mondiale de la psychanalyse » tant cette pratique y est répandue et valorisée monde-diplomatique.fr. Historiquement, Freud est traduit en espagnol dès les années 1920 en Argentine, suscitant la curiosité des élites intellectuelles d’un pays alors prospère et tourné vers l’Europe argentina-excepcion.com. Dans les années 1930-40, plusieurs psychanalystes européens fuyant le fascisme choisissent Buenos Aires comme terre d’accueil – par exemple l’Espagnol Ángel Garma, l’Autrichienne Marie Langer ou le Français (d’origine suisse) Enrique Pichon-Rivière s’y installent argentina-excepcion.com. Ces pionniers, aux côtés de psychiatres argentins tels que Celes Cárcamo, fondent en 1942 l’Association psychanalytique argentine (APA), première société du genre en Amérique latine argentina-excepcion.com. L’Argentine devient ainsi un membre actif de l’API très tôt.
À partir des années 1960, la psychanalyse connaît un véritable essor populaire en Argentine, particulièrement dans la classe moyenne urbaine argentina-excepcion.com. Les décennies 1960-70, marquées par des bouleversements sociaux (révolution culturelle, mouvements politiques, question de l’identité nationale après les vagues d’immigration européennes), créent un terreau favorable à l’introspection et à la psychothérapie. La psychanalyse se diffuse alors largement : on voit fleurir le « divan » dans de nombreux cabinets à Buenos Aires, et la culture locale s’en imprègne profondément. Il n’est pas rare que des familles argentines considèrent normal que chacun « ait son psy ». Des quartiers entiers de Buenos Aires (comme Villa Freud) sont réputés pour leur concentration de cabinets de psychanalystes. Selon une enquête de Modesto Alonso, on compte jusqu’à un psychothérapeute pour 120 habitants à Buenos Aires, un record mondial comparable seulement à New York argentina-excepcion.com. À l’échelle du pays, environ un psy pour 650 habitants a été recensé, soit trois fois plus que la moyenne des pays développés argentina-excepcion.com. Ces chiffres illustrent l’acceptation culturelle unique de la psychanalyse en Argentine. Les concepts freudiens y sont compris du grand public : dans la langue courante argentine, des termes comme « inconscient », « acte manqué » ou « hystérique » sont employés spontanément pour décrire la vie psychique argentina-excepcion.com.
Il convient toutefois de nuancer ce tableau idyllique par des tendances récentes. Depuis les années 2000, la psychanalyse classique (cure de plusieurs séances par semaine sur des années) est en léger déclin en Argentine argentina-excepcion.com. La crise économique récurrente a rendu ces thérapies longues difficiles à financer pour beaucoup, d’où un intérêt croissant pour des thérapies plus courtes ou pour des médicaments. Par ailleurs, de jeunes psychologues argentins s’ouvrent aux approches alternatives (systémiques, cognitives) même si la formation universitaire reste souvent imprégnée de Freud et Lacan. Malgré ces évolutions, l’Argentine demeure l’un des pays au monde où la psychanalyse est le plus institutionnalisée : elle est enseignée à l’université, intégrée dans certaines politiques de santé mentale (par ex. des dispositifs de psychothérapie gratuite inspirés de la psychanalyse), et pèse sur les orientations culturelles (littérature, théâtre, etc.). Elle a su aussi s’adapter : par exemple en inventant des formats de thérapie de groupe ou communautaire dans les périodes de dictature ou de crise sociale, pour continuer à « faire du lien psychique » malgré la répression ou la précarité.
Brésil
Le Brésil a été le premier pays d’Amérique du Sud où la psychanalyse freudienne s’est implantée fr.wikipedia.org. Dès 1919, des conférences sur Freud sont données à Rio de Janeiro. La première référence publiée à Freud au Brésil date de 1899 dans l’État de Bahia (par un psychiatre afro-brésilien, Juliano Moreira) selon les sources historiques, ce qui montre une introduction très précoce de ces idées shs.cairn.info. Moreira, considéré comme le père de la psychiatrie brésilienne, contribue à diffuser l’approche freudienne dans les années 1900-1910. Le mouvement se structure véritablement à partir des années 1920 : le 24 novembre 1927, Durval Marcondes fonde à São Paulo la Société brésilienne de psychanalyse, ainsi qu’une Revista Brasileira de Psicanálise l’année suivante fr.wikipedia.org. Cette initiative brésilienne est pionnière en Amérique latine et contemporaine de ce qui se fait en Europe.
Dans les années 1930, le Brésil bénéficie, comme l’Argentine, de l’arrivée d’exilés européens. En 1936, la psychanalyste hongroise Adelheid Koch s’installe à São Paulo à la demande d’Ernest Jones fr.wikipedia.org. Elle analyse et forme les premiers psychanalystes locaux (dont Marcondes lui-même), et fonde en 1944 un groupe psychanalytique à São Paulo qui sera reconnu provisoirement par l’API dès 1945 fr.wikipedia.org. Grâce à ces apports, la psychanalyse brésilienne prend son essor après la Seconde Guerre mondiale. Trois pôles principaux se développent autour des sociétés psychanalytiques de São Paulo, de Rio de Janeiro et de Porto Alegre fr.wikipedia.org, tandis qu’une quatrième association d’orientation lacanienne voit le jour plus tard. Le Brésil est un pays vaste et culturellement hétérogène, ce qui se reflète dans sa psychanalyse : les courants freudiens classiques y coexistent avec des approches jungiennes (plutôt à l’écart de l’institution API), et l’on note des initiatives originales comme les « cliniques de psychanalyse sociale » créées par le psychanalyste Helio Pellegrino dans les années 1970 pour apporter la parole analytique aux populations défavorisées fr.wikipedia.org. Sous la dictature militaire (1964-1985), certains psychanalystes brésiliens s’engagent politiquement – une figure comme Pellegrino illustre cette alliance entre praxis psychanalytique et contestation du régime fr.wikipedia.org. Malgré la censure ambiante, la psychanalyse ne sera pas bannie, et elle réémergera plus librement après le retour à la démocratie.
De nos jours, le Brésil compte un grand nombre de professionnels formés à la psychanalyse, bien que la densité par habitant y soit moindre qu’en Argentine. L’histoire de la psychanalyse au Brésil est désormais bien ancrée : le pays a accueilli des congrès internationaux, et ses sociétés psychanalytiques forment localement de nouveaux cliniciens. Là encore, toutefois, les défis contemporains se posent : la psychiatrie brésilienne s’intéresse aussi aux thérapies brèves et à la santé publique (notamment dans le cadre du système de santé universel, le SUS), ce qui oblige la psychanalyse à trouver sa place (par exemple via des partenariats dans les CAPS – centres de psycho-social – où des approches psychanalytiques sont parfois utilisées pour traiter les patients chroniques en groupe). La psychanalyse reste par ailleurs surtout présente dans les métropoles du Sud et du Sud-Est du Brésil, tandis que dans les régions plus rurales ou défavorisées, son accès demeure très limité.
Autres pays latino-américains
En Uruguay et au Chili, la psychanalyse a également une influence notable. Montevideo et Santiago ont vu se créer des sociétés psychanalytiques dès les années 1940-50. L’Uruguay, en particulier, a une forte densité de psychologues et a été marqué par la figure de l’écrivain/psychanalyste Eduardo Galeano. Au Chili, la psychanalyse a souffert de la dictature de Pinochet (1973-1990) qui a persécuté certains psychanalystes engagés politiquement, mais elle connaît un renouveau depuis les années 1990. Le Venezuela, le Colombie ou le Pérou ont eu des implantations plus réduites, souvent impulsées par des analystes formés en Argentine ou aux États-Unis qui sont rentrés au pays.
De manière générale, l’Amérique latine hispanophone a constitué un terreau très fertile pour la psychanalyse, au point que certaines théories psychanalytiques y ont été élaborées (Grupo opératif d’Enrique Pichon-Rivière en Argentine, concepts de Fernando Ulloa, etc.). La psychanalyse y est présente dans les universités (notamment en psychologie) et a imprégné la culture (par exemple, l’essor du réalisme magique en littérature latino-américaine a parfois été mis en parallèle avec l’inconscient freudien). Toutefois, on observe récemment une montée en puissance des approches thérapeutiques plus brèves ou orientées neurosciences dans ces pays également, signe d’une convergence mondiale des pratiques de santé.
Afrique
La diffusion de la psychanalyse en Afrique a été limitée comparativement à l’Europe ou aux Amériques, en raison de facteurs historiques (colonisation, priorités de santé publique centrées sur les maladies infectieuses, etc.) et culturels (prévalence d’approches traditionnelles de la souffrance psychique, importance des structures familiales et communautaires qui laissent moins de place à l’introspection individuelle). Néanmoins, on peut distinguer deux zones : l’Afrique du Nord, où l’influence coloniale française a introduit la psychanalyse dans certains milieux, et l’Afrique subsaharienne, où les implantations ont été rares et souvent portées par des individus isolés ou des initiatives étrangères. Un cas à part est celui de l’Afrique du Sud, qui a connu un développement psychanalytique relativement important.
Afrique du Nord
Dans les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), la psychanalyse a fait son apparition via les colonisateurs européens et les élites locales formées en métropole. Durant la période coloniale française, quelques psychiatres et psychologues d’inspiration psychanalytique travaillent en Algérie ou au Maroc, mais souvent dans une optique ethnopsychiatrique (étude de « l’âme indigène ») plus que dans une diffusion à la population générale. Un exemple marquant est Frantz Fanon : psychiatre formé en France, il exerce à l’hôpital de Blida en Algérie dans les années 1950, où il applique des idées psychanalytiques à la compréhension des traumatismes du colonialisme. Son ouvrage Les Damnés de la Terre (1961) contient une réflexion sur la psychopathologie du colonisé mêlant marxisme et psychanalyse. Fanon, bien que critique envers certains aspects de Freud, illustre l’appropriation de concepts analytiques pour penser le contexte culturel africain.
Après les indépendances (années 1950-60), peu de structures psychanalytiques officielles voient le jour au Maghreb, mais des individus maintiennent vivante la flamme. En Tunisie et au Maroc, quelques psychiatres formés en France pratiquent la psychanalyse dans les hôpitaux ou en cabinet privé à partir des années 1970. Ils restent très minoritaires et la prise en charge mentale demeure majoritairement pharmacologique ou religieuse/socio-familiale. En Algérie, les années post-indépendance sont dures pour la psychanalyse : le pouvoir socialiste valorise une psychiatrie de masse (secteur public) où l’effort porte sur la désaliénation sociale plus que sur les cures individuelles longues. Néanmoins, on note dans les années 2000 l’apparition de psychothérapeutes d’inspiration psychanalytique dans les grandes villes maghrébines, souvent formés à l’étranger ou via des séminaires locaux en partenariat avec des associations européennes.
Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud)
Au sud du Sahara, la psychanalyse est restée quasiment absente en tant que pratique clinique organisée. Le poids des traditions (guérisseurs, marabouts, approches spirituelles de la maladie mentale) et le manque de ressources médicales spécialisées ont empêché l’implantation de cures type freudien, longues et coûteuses. Cependant, il y eut quelques tentatives ponctuelles. Dans les années 1940-50, des anthropologues ou psychologues coloniaux s’intéressent à appliquer la grille psychanalytique aux sociétés africaines. Par exemple, le Français Octave Mannoni publie en 1948 Psychologie de la colonisation après un séjour à Madagascar, ouvrage où il interprète le rapport colonisé/colonisateur avec des concepts psychanalytiques (complexe d’infériorité, etc.) fr.wikipedia.org. Son travail a été très controversé et est aujourd’hui considéré comme daté, reflétant davantage les préjugés coloniaux de l’époque que la réalité psychique malgache fr.wikipedia.org. Néanmoins, il constitue un jalon dans l’histoire de la psychanalyse en Afrique en ce qu’il a tenté une lecture psychanalytique d’un contexte non-occidental.
Une autre initiative notable fut celle de Louise Marx, psychanalyste française, qui séjourna à Madagascar de 1957 à 1959. Elle y réalisa des consultations et publia des articles dans le Bulletin de l’Académie malgache, où elle soulignait le « traumatisme » psychologique de la colonisation sur les Malgaches fr.wikipedia.org. Elle appelait à poursuivre l’étude du « climat psychologique nouveau » né des changements historiques sur l’île fr.wikipedia.org. Ces travaux, bien qu’isolés, témoignent d’une volonté de comprendre l’âme africaine avec l’outil psychanalytique.
Dans la plupart des pays d’Afrique noire, aucune société psychanalytique locale n’a vu le jour au XXe siècle. Les rares praticiens formés (par exemple en Côte d’Ivoire ou au Sénégal) étaient souvent expatriés européens ou africains formés en Occident, exerçant individuellement. La priorité en santé mentale a longtemps été la lutte contre les troubles aigus avec des moyens limités, ce qui laissait peu de place à la psychanalyse. En outre, certaines conceptions freudiennes (comme la centralité de la sexualité infantile ou de l’individu autonome) pouvaient entrer en collision avec les valeurs sociales traditionnelles (famille élargie, rôle des ancêtres, etc.), générant une résistance culturelle.
Afrique du Sud
L’Afrique du Sud fait figure d’exception sur le continent, avec un véritable courant psychanalytique établi sur la durée. Déjà dans les années 1920-30, des psychiatres sud-africains s’intéressent aux travaux de Freud. Dans les années 1930, plusieurs psychanalystes européens fuyant le nazisme choisissent l’Afrique du Sud comme refuge du fait de la présence d’une communauté juive et d’un climat accueillant : par exemple, l’analyse allemande Wulf Sachs s’installe à Johannesburg et publie en 1937 Black Hamlet, un récit d’une cure menée avec un guérisseur africain. Durant la seconde moitié du XXe siècle, la psychanalyse sud-africaine évolue toutefois dans un contexte difficile : l’instauration de l’apartheid en 1948 isole le pays et favorise l’exil de nombreux intellectuels. De plus, le régime raciste n’encourage pas une discipline perçue comme potentiellement subversive. En conséquence, la communauté psychanalytique sud-africaine stagne et reste essentiellement composée de praticiens blancs œuvrant pour une patientèle aisée, sans reconnaissance officielle de l’API.
Après la fin de l’apartheid en 1994, un renouveau spectaculaire a lieu. Les psychanalystes sud-africains restés sur place ou formés à l’étranger unissent leurs efforts pour créer une véritable association locale. En 2009 est fondée la South African Psychoanalytical Association (SAPA), premier groupe d’études africain officiellement rattaché à l’API sigourneyaward.org sigourneyaward.org. SAPA obtient le statut de société provisoire en 2017, devenant ainsi la première société psychanalytique accréditée en Afrique sigourneyaward.org. Son action est particulièrement orientée vers l’ouverture de la psychanalyse à toutes les communautés du pays, dans un esprit de réparation post-apartheid. SAPA met l’accent sur les thèmes du racisme, du trauma historique et des inégalités socio-économiques dans sa pratique sigourneyaward.org. Des cliniques à bas coût et des programmes de formation subventionnés sont mis en place pour rendre la psychanalyse accessible au-delà des élites urbaines sigourneyaward.org sigourneyaward.org. En 2016, SAPA a diplômé ses premiers psychanalystes noirs sud-africains, alors qu’auparavant la formation n’était accessible qu’aux privilégiés pouvant étudier à l’étranger sigourneyaward.org. Actuellement, l’association compte quelques dizaines d’analystes (en 2020 : 23 analystes dont 15 % de noirs, et 25 candidats en formation dont 33 % de noirs sigourneyaward.org), répartis principalement entre Le Cap et Johannesburg epf-fep.eu. Bien que modeste en nombre, la psychanalyse sud-africaine représente un modèle d’intégration multiculturelle, cherchant à dépasser l’image d’une théorie eurocentrée inadaptée au contexte africain sigourneyaward.org. Le travail pionnier de SAPA a d’ailleurs été récompensé par un prix Sigourney en 2020 pour sa contribution à l’accès à la psychanalyse dans des communautés marquées par l’histoire de l’apartheid sigourneyaward.org.
En dehors de l’Afrique du Sud, on note récemment quelques initiatives embryonnaires ailleurs en Afrique anglophone : par exemple, des séminaires psychanalytiques ont été organisés au Nigeria et au Kenya dans les années 2010 par des praticiens formés à l’étranger, et l’Égypte (pays transcontinental souvent rattaché au Moyen-Orient culturellement) voit se développer depuis les années 2000 un groupe psychanalytique actif au Caire, le Cairo Psychoanalytic Center, travaillant en arabe et en anglais. Globalement, toutefois, l’Afrique reste le continent où la psychanalyse est la moins implantée, souvent remplacée par des approches communautaires ou spirituelles plus en phase avec les réalités locales.
Asie
L’Asie présente un panorama contrasté pour l’implantation de la psychanalyse. Introduite dans certains pays dès le début du XXe siècle (Inde, Japon) – parfois grâce à l’intérêt de quelques pionniers locaux pour Freud – la psychanalyse y a ensuite été freinée par des facteurs culturels (poids du collectivisme ou de philosophies différentes, comme le bouddhisme ou le confucianisme) et politiques (refus sous les régimes communistes). Cependant, depuis la fin du XXe siècle, on assiste à un renouveau dans plusieurs pays asiatiques, où la psychanalyse connaît un intérêt croissant, souvent en lien avec la mondialisation des savoirs et l’ouverture économique. Nous examinerons l’Inde, la Chine et d’autres pays d’Asie orientale.
Inde
L’Inde fut l’un des premiers pays non occidentaux à accueillir la psychanalyse. Dès les années 1920, des intellectuels indiens s’enthousiasment pour Freud. Le Dr Girindrasekhar Bose à Calcutta correspond avec Freud et fonde en 1922 la Société psychanalytique de l’Inde, la toute première société de psychanalyse en dehors du monde occidental collectifdepantin.org. Freud, dans sa correspondance avec Bose, reconnaît la singularité du contexte indien (Bose proposera par exemple une modification du complexe d’Œdipe adapté à la culture bengalie). Durant l’entre-deux-guerres, la psychanalyse indienne se limite toutefois à quelques cercles urbains (Calcutta, Bombay). Après l’indépendance en 1947, l’Inde doit faire face à de vastes défis sanitaires : la priorité est donnée à la médecine communautaire et à la psychiatrie publique plutôt qu’aux cures psychanalytiques individuelles. Néanmoins, la tradition initiée par Bose perdure : l’Indian Psychoanalytic Society continue d’exister, et certaines universités (Delhi, Kolkata) enseignent les théories freudiennes dans leurs cursus de psychologie.
Culturellement, la psychanalyse a influencé des penseurs et écrivains indiens, qui ont essayé d’établir des passerelles entre l’inconscient freudien et la pensée orientale (y compris la spiritualité hindoue ou bouddhiste). Des concepts comme le mythe d’Œdipe ont été relus à l’aune des légendes et familles indiennes. Toutefois, dans la pratique clinique, la psychanalyse demeure marginale en Inde, où peu de personnes peuvent se permettre financièrement une thérapie de longue durée. On recense quelques psychanalystes à Mumbai, Delhi ou Bangalore, souvent issus de l’élite anglophone. Récemment, l’ouverture économique et l’émergence d’une classe moyenne ont vu croître la demande en santé mentale ; cela a profité surtout aux thérapies de conseil et à la psychiatrie moderne, mais aussi un peu à la psychanalyse pour une frange instruite de la population. L’Inde a d’ailleurs accueilli en 2007 le Congrès de l’API à New Delhi, signe de la reconnaissance d’un mouvement psychanalytique indien sur la scène internationale, même s’il demeure modeste en nombre.
Chine
La Chine offre l’exemple d’une exclusion puis réintroduction spectaculaire de la psychanalyse. Des premières tentatives d’importation eurent lieu dans les années 1920-1930 : des missionnaires et médecins occidentaux évoquent Freud à Shanghai et Beijing, et quelques ouvrages sont traduits. Mais c’est surtout après l’installation du régime communiste en 1949 que le sort de la psychanalyse bascule : considérée comme une théorie bourgeoise occidentale, elle est tout simplement bannie sous Mao Zedong firingthemind.com. Entre 1949 et la fin des années 1970, il n’existe officiellement plus de psychanalyse en Chine – les références freudiennes disparaissent des universités et de la psychiatrie. La Révolution culturelle (1966-1976) renforce encore cette proscription, en éliminant la psychiatrie même pendant un temps (les malades mentaux sont alors souvent confiés à leurs familles ou envoyés en camps, et la psychologie en tant que discipline est suspendue) firingthemind.com.
Il faut attendre la politique d’« ouverture » initiée par Deng Xiaoping dans les années 1980 pour voir renaître un intérêt pour Freud en Chine. Progressivement, des ouvrages de psychanalyse sont retraduits en mandarin, des contacts s’établissent avec l’API et des formateurs étrangers commencent à intervenir. Ces vingt dernières années, la Chine voit se multiplier les échanges et les formations en psychanalyse : congrès « Freud et l’Asie », programmes d’analyse à distance avec des analystes européens via interprète shs.cairn.info, création de groupes d’étude dans les grandes villes. Pékin et Shanghai disposent désormais de centres de formation officieux où des professionnels (souvent psychiatres ou psychologues) reçoivent une initiation psychanalytique. La société chinoise connaît en effet des mutations (urbanisation rapide, politique de l’enfant unique entraînant de nouveaux types de relations familiales, etc.) qui suscitent de nouveaux problèmes psychiques – la psychanalyse y trouve un rôle pour penser le stress, la dépression, les questions identitaires dans un pays en transformation firingthemind.com firingthemind.com. Cependant, des obstacles culturels subsistent : la tradition confucéenne valorise la famille et la retenue émotionnelle, ce qui peut contraster avec l’individualisme implicite de la cure freudienne firingthemind.com. Les Chinois en thérapie sont parfois mal à l’aise avec l’idée de s’épancher sur eux-mêmes, ou craignent de « perdre la face ». Les psychanalystes formés cherchent donc à adapter leur posture aux sensibilités locales. Malgré ces défis, la psychanalyse connaît un engouement discret mais réel en Chine urbaine depuis les années 2000, au point que Shanghai a lancé en 2011 un programme officiel de psychothérapie dynamique dans les hôpitaux. Le chemin est encore long pour une intégration complète – on estime qu’il n’y a que quelques dizaines d’analystes pleinement formés pour toute la Chine a2ip-psychanalyse.org – mais la dynamique est enclenchée pour combler ce qui fut le plus grand « vide psychanalytique » du XXe siècle firingthemind.com.
Japon, Corée et Asie du Sud-Est
Le Japon fut le premier pays d’Asie de l’Est à s’intéresser à la psychanalyse. Dès 1914, un psychologue japonais, Hideo Kaki, introduit Freud lors d’un congrès olivierdouville.blogspot.com. Dans l’entre-deux-guerres, des psychiatres japonais, tels Heisaku Kosawa, se forment auprès de disciples de Freud et ramènent les idées psychanalytiques au Japon. Kosawa propose même un concept original, le complexe d’Ajase, inspiré d’une légende bouddhiste, pour repenser l’Œdipe dans le contexte japonais. Malgré ces débuts prometteurs, la psychanalyse reste marginale au Japon d’avant 1945, dominé par un militarisme peu enclin à ces théories. Après la guerre, le Japon voit renaître la psychanalyse sous influence américaine : des psychiatres formés aux États-Unis introduisent la technique, et une Société psychanalytique japonaise est fondée en 1955. Tokyo et Kyoto deviennent les pôles principaux de la discipline. La réception culturelle est cependant mitigée : si les milieux artistiques et littéraires japonais s’emparent volontiers de Freud (le réalisateur Ozu ou l’écrivain Mishima montrent l’influence de thèmes inconscients), le grand public demeure réservé. Les Japonais ont historiquement privilégié d’autres approches de la souffrance mentale, comme la thérapie Morita (focalisée sur l’acceptation plutôt que l’analyse du symptôme) ou des pratiques collectives. Ainsi, la réserve face à la verbalisation intime limite la diffusion de la psychanalyse. Elle existe aujourd’hui au Japon, mais souvent sous forme de psychothérapies psychodynamiques modifiées, et reste confinée aux élites urbaines. Néanmoins, le Japon contribue au débat théorique (ex : intégration de concepts du zen en psychanalyse par certains auteurs nippons).
La Corée du Sud a une histoire psychanalytique plus récente. Introduite après la guerre de Corée, la psychanalyse y a d’abord été l’apanage de quelques universitaires. Depuis les années 1970, plusieurs associations psychanalytiques sud-coréennes ont vu le jour journals.openedition.org, témoignant d’un intérêt croissant. Un phénomène particulier en Corée est l’émergence d’une psychothérapie taoïste, fondée en 1974 par le Dr Yi Tongsik, qui combine principes psychanalytiques et philosophie orientale (taoïsme, bouddhisme) journals.openedition.org. Ce courant a cherché à « dépasser Freud » en intégrant la culture locale, mais a reçu un accueil mitigé du public et le mépris de certains psychanalystes coréens orthodoxes journals.openedition.org. Globalement, la Corée du Sud voit coexister une psychanalyse classique (quelques centaines de membres dans des associations liées à l’API) et des formes syncrétiques plus adaptées à la culture nationale. La modernisation rapide du pays a fait émerger de nouveaux troubles (stress scolaire, isolement des jeunes) qui incitent une partie de la population à consulter, y compris via des approches analytiques.
Dans le reste de l’Asie, la psychanalyse est peu implantée. L’Asie du Sud-Est n’a pratiquement pas de tradition psychanalytique endogène – par exemple, en Thaïlande, en Indonésie ou en Malaisie, la prise en charge psychologique a longtemps été assurée par les structures communautaires ou la religion, et les rares psychanalystes éventuels sont formés à l’étranger et pratiquent discrètement sur une très petite échelle. Hong Kong et Singapour, en tant que cités cosmopolites, ont vu passer des psychanalystes expatriés et proposent quelques services de psychothérapie analytique pour une clientèle internationale, sans réelle production théorique locale. L’Australie (qui culturellement peut être rattachée au monde occidental, voir section Océanie) a parfois servi de centre régional pour former des thérapeutes venant d’Asie (des candidats de Singapour ou d’Inde sont allés se former à Sydney, par exemple, dans les années 1980-90).
En résumé, l’Asie demeure un continent où la psychanalyse est en pénétration lente, souvent réservée à une élite éduquée, face à des conceptions de l’esprit et de la thérapie très différentes (holisme, importance de la famille, traditions spirituelles). Mais l’évolution des sociétés asiatiques (urbanisation, influence de la culture globale, besoins en santé mentale) ouvre de nouvelles portes à la psychanalyse, qui y trouve un second souffle en ce début de XXIe siècle.
Moyen-Orient
Le Moyen-Orient, à cheval sur l’Asie et l’Afrique du Nord, offre un paysage contrasté pour la psychanalyse. La région est diverse sur les plans culturel, religieux et politique, ce qui a fortement conditionné l’accueil de la théorie freudienne. De manière générale, l’implantation de la psychanalyse y a été tardive et limitée, souvent perçue comme une importation occidentale peu compatible avec les traditions locales. Cependant, certains pays ou villes ont vu émerger de véritables communautés psychanalytiques. On peut distinguer le cas d’Israël (où la psychanalyse s’est implantée tôt via les vagues d’immigration juive européenne), celui de la Turquie et de l’Iran (deux nations non arabes, laïques ou modernisées au XXe siècle, qui ont connu une introduction progressive de la psychanalyse), et le monde arabe (où quelques figures, notamment au Liban et en Égypte, ont tenté de développer la discipline).
Israël
Israël possède une tradition psychanalytique profonde, héritée en grande partie de l’Europe centrale. Avant même la création de l’État d’Israël, la Palestine mandataire accueillait des psychanalystes fuyant l’Europe nazie : Max Eitingon, disciple de Freud et fondateur de l’Institut psychanalytique de Berlin, s’établit à Jérusalem en 1933 et y fonde la Palestine Psychoanalytic Society. Cette société, l’une des premières d’Asie, deviendra plus tard la Société psychanalytique d’Israël. Ainsi, dès les années 1940, la psychanalyse est bien présente dans le Yishouv (communauté juive pré-1948). Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux survivants de la Shoah et intellectuels européens s’installent en Israël, apportant avec eux l’héritage freudien. La psychanalyse israélienne se structure autour des grandes villes (Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa) et bénéficie d’un prestige notable : plusieurs dirigeants ou penseurs s’y intéressent, et l’image de Freud s’accorde avec une vision d’Israël comme nation moderne et cultivée. Toutefois, il y a aussi des résistances : la société israélienne est en guerre quasi permanente, centrée sur la construction d’un État, et certains estiment dans les premières décennies que l’introspection psychanalytique serait un luxe face aux urgences de la nation. Malgré cela, Israël forme de nombreux psychanalystes (souvent médecins psychiatres de formation) et développe des contributions originales, notamment dans le domaine de la psychanalyse des enfants (on pense à la méthode de thérapie par le jeu de Henrietta Szold à Jérusalem).
Aujourd’hui, Israël compte une communauté psychanalytique dynamique, intégrée à l’API. La psychanalyse y est pratiquée majoritairement par des professionnels juifs, mais on note aussi quelques praticiens arabes israéliens. Un défi particulier en Israël est la coexistence de populations culturellement très différentes : l’approche freudienne classique peut ne pas convenir à des patients ultra-orthodoxes ou issus de milieux traditionnels, tandis qu’elle est plus répandue dans le milieu laïc occidentalisé. Le contexte de conflit permanent a aussi orienté la psychanalyse israélienne vers l’étude des traumas collectifs (Holocauste, guerres) et de la résilience.
Turquie
La Turquie offre l’exemple d’une introduction relativement tardive de la psychanalyse, suivie d’une croissance rapide sur les dernières décennies. Sous l’Empire ottoman, il n’y a pas de trace d’influence freudienne notable. La République turque laïque fondée par Atatürk (dans les années 1920-30) met l’accent sur la science occidentale, ce qui crée un terrain potentiellement favorable, mais dans les faits la psychanalyse reste inconnue du grand public pendant longtemps. Ce n’est qu’à la toute fin du XXe siècle que la psychanalyse s’implante véritablement en Turquie, avec près d’un « siècle de retard » par rapport à l’Europe cairn.info. Vers les années 1980-1990, des psychiatres turcs commencent à se former à l’étranger (France, États-Unis) et à revenir au pays pour pratiquer. Le mouvement s’accélère dans les années 2000 : Istanbul et Ankara voient la création de deux sociétés de psychanalyse affiliées à l’API, chacune regroupant des centaines de membres ou candidats en formation lorientlejour.com. Ce développement remarquable s’est fait dans un pays majoritairement musulman, prouvant que la psychanalyse peut s’y frayer un chemin dès lors qu’un travail d’adaptation culturelle est réalisé. En effet, les psychanalystes turcs ont dû démontrer que la pratique pouvait respecter les valeurs locales (par exemple, la confidentialité et la neutralité du thérapeute sont mises en avant pour rassurer dans une société où la famille élargie joue un grand rôle). La Turquie, étant un pont entre Orient et Occident, a également bénéficié de l’appui de psychanalystes européens francophones (beaucoup de formateurs sont venus de Paris, héritage des liens franco-turcs). Aujourd’hui, la psychanalyse turque est relativement florissante, avec des revues, des colloques réguliers et un public de patients urbains de classe moyenne en augmentation. Le climat politique plus autoritaire de ces dernières années en Turquie pourrait constituer un frein si les libertés académiques se restreignent, mais jusqu’à présent la discipline n’a pas fait l’objet d’hostilité de la part des autorités, restant un domaine spécialisé peu visible politiquement.
Iran
L’histoire de la psychanalyse en Iran est intimement liée aux soubresauts politiques du pays au XXe siècle. Introduite dans les années 1930 sous le règne modernisateur du Shah Reza Pahlavi, la psychanalyse fait son apparition à la faculté de médecine de Téhéran peu avant la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de l’envoi d’étudiants iraniens en Europe (notamment en France) a2ip-psychanalyse.org a2ip-psychanalyse.org. Des traductions persanes d’ouvrages de Freud existent dès les années 1930 (Totem et Tabou est traduit en 1936, par exemple) a2ip-psychanalyse.org. Durant la période du Shah (années 1940-1979), l’Iran cherche à s’occidentaliser et on observe une timide incorporation de la psychanalyse dans la psychiatrie iranienne. Quelques psychiatres de retour d’Europe ou des États-Unis pratiquent la psychothérapie analytique à Téhéran, et des références à Freud apparaissent dans la littérature et le cinéma iraniens des années 1960-70.
La Révolution islamique de 1979 interrompt brutalement ce processus. Dans les premières années de la République islamique, la psychanalyse et la psychologie occidentale sont suspectées d’être des idéologies décadentes incompatibles avec l’islam révolutionnaire. Freud et l’enseignement de la psychologie sont marginalisés, considérés comme des produits de l’Occident matérialiste a2ip-psychanalyse.org. Beaucoup de professionnels de santé mentale quittent le pays durant cette période trouble (exode d’intellectuels après 1979) a2ip-psychanalyse.org a2ip-psychanalyse.org. Toutefois, cette éclipse ne dure pas. Dès la fin de la guerre Iran-Irak (1988), la demande pour des soins psychiques explose en Iran en raison des traumatismes de la guerre et des tensions sociales a2ip-psychanalyse.org. Les autorités assouplissent leur position : on se rend compte que l’idéologie ne suffit pas à soigner les troubles post-traumatiques ou la dépression. Ainsi, à partir des années 1990, la psychologie et même la psychanalyse retrouvent droit de cité en Iran. Des cliniciens formés à l’étranger rentrent au pays – c’est le cas du Dr Mohammadreza Sanati, psychiatre formé en Angleterre, qui dès 1982 contribue à réintroduire l’approche psychanalytique à l’hôpital Rouzbeh de Téhéran a2ip-psychanalyse.org. En 2001, Sanati publie un ouvrage conjuguant théorie psychanalytique et analyse de la culture persane (littérature, cinéma) a2ip-psychanalyse.org.
Depuis les années 2000, on observe en Iran une forte croissance de la demande en consultations psychologiques et psychanalytiques a2ip-psychanalyse.org. Consulter un « psy » est devenu bien moins stigmatisé qu’auparavant : en deux décennies, l’idée de démarche thérapeutique personnelle s’est popularisée, au point que seulement 14 % de la population continue de s’adresser exclusivement aux guérisseurs traditionnels d’après une étude de 1989 a2ip-psychanalyse.org. La plupart des Iraniens urbains préfèrent aujourd’hui consulter un professionnel moderne (psychiatre, psychologue, ou psychanalyste) en cas de souffrance psychique a2ip-psychanalyse.org. Cela s’explique par la prolifération récente de centres de conseil psychologique privés et publics (notamment à Téhéran) et la relative prospérité de ces métiers (les thérapeutes gagnant mieux leur vie en Iran que dans de nombreux pays occidentaux du fait d’une forte demande et d’une offre encore restreinte) a2ip-psychanalyse.org. Si bien que certains psychanalystes iraniens expatriés en Europe ou aux États-Unis ont choisi de retourner exercer en Iran dans les années 2010 a2ip-psychanalyse.org. On compte aujourd’hui en Iran quelques dizaines de psychanalystes au maximum, presque tous basés à Téhéran a2ip-psychanalyse.org. La plupart sont des psychiatres de formation ayant suivi une analyse personnelle et une supervision. Les cures psychanalytiques « classiques » (plusieurs séances par semaine sur divan) restent rares et réservées à une élite ; les praticiens iraniens proposent le plus souvent des thérapies inspirées de la psychanalyse mais plus souples (une séance par semaine, intégration de références culturelles locales, etc.). Fait intéressant, la psychanalyse en Iran a dû composer avec la religiosité ambiante : certains thérapeutes cherchent des ponts entre la notion d’inconscient et la spiritualité soufie, ou encore travaillent sur la culpabilité en intégrant des concepts islamiques de faute et de pardon. Ainsi, la psychanalyse iranienne est en train de se forger un caractère original, en phase avec la société qui oscille entre tradition et modernité. Malgré un régime politique conservateur, la discipline n’est pas persécutée tant qu’elle demeure dans le cadre médical ; elle représente même un exutoire précieux pour de nombreux Iraniens confrontés aux tensions de la vie contemporaine.
Monde arabe et Levant
Dans le monde arabe (hors Maghreb déjà abordé dans la section Afrique du Nord), la psychanalyse a eu une diffusion limitée, mais on peut mentionner quelques foyers. L’Égypte, dès les années 1940, a connu un débat intellectuel autour de Freud : des professeurs comme Moustapha Ziwar ou des littérateurs du Caire traduisent et commentent Freud, et tentent d’articuler psychanalyse et soufisme jstor.org. Un avocat égyptien, Muhammad Fathi, publie en 1946 Le Problème de la psychanalyse en Égypte, défendant l’apport freudien dans un contexte islamique jadaliyya.com. Toutefois, cette effervescence reste théorique. La pratique analytique égyptienne reste embryonnaire, cantonnée à quelques médecins du Caire. Après la révolution nassérienne, l’Égypte s’oriente vers une psychiatrie sociale nationaliste, et la psychanalyse ne prend pas racine largement. Ce n’est qu’au début du XXIe siècle qu’un Groupe psychanalytique arabe voit officiellement le jour au Caire, sous l’égide de l’API, réunissant des cliniciens d’Égypte, du Liban, de Jordanie, etc. Son existence témoigne d’un renouveau d’intérêt dans le monde arabe pour Freud, mais l’impact sur le terrain demeure modeste.
Le Liban est sans doute le pays arabe où la psychanalyse a le plus prospéré. Du fait de l’héritage francophone et du cosmopolitisme de Beyrouth, des psychanalystes formés à Paris ou ailleurs s’y installent dans les années 1970. La pratique débute véritablement au Liban vers 1970, et en 1980 est fondée la Société libanaise de psychanalyse (SLP) lorientlejour.com. Malgré la guerre civile libanaise (1975-1990), la communauté psychanalytique locale se développe lentement, principalement dans la bourgeoisie intellectuelle francophone. Après la guerre, de nouveaux membres de toutes confessions rejoignent la SLP, et certains sont affiliés à l’API ou à des associations lacaniennes lorientlejour.com. Des divisions internes apparaissent au sujet de l’orientation internationale : faut-il s’affilier officiellement à l’API ? Autour de 2007, une scission a lieu – ceux souhaitant l’affiliation démissionnent lorientlejour.com. En 2009, ces dissidents fondent une nouvelle entité, l’Association libanaise pour le développement de la psychanalyse (ALDeP), qui est reconnue par l’API en 2010 en tant que premier groupe d’étude psychanalytique dans un pays arabe du Moyen-Orient lorientlejour.com. Actuellement, le Liban compte donc deux associations psychanalytiques actives (d’orientation plutôt française), reflet à la fois de la vitalité et de la fragmentation du milieu. Les psychanalystes libanais ont mené une réflexion sur la diversité religieuse : ils soulignent que la psychanalyse ne doit pas être confondue avec une confession particulière et qu’elle ne fleurit que dans une culture de la distance vis-à-vis du religieux, tout en respectant la croyance de chacun lorientlejour.com. Le Liban fournit en quelque sorte un exemple de coexistence entre tradition (une société multiconfessionnelle) et modernité psychanalytique, dans un micro-marché intellectuel très influencé par la France.
Dans les pays du Golfe arabique et en Arabie saoudite, la psychanalyse est quasiment inexistante. Le conservatisme religieux wahhabite et l’absence de liberté d’expression franche sur les sujets de la sexualité, de l’inconscient, etc., rendent le terrain peu accueillant. La santé mentale y est plutôt du ressort des psychiatres biologiques ou des conseillers religieux. Il n’y a pas de société psychanalytique au sens strict dans ces pays, même si quelques praticiens isolés (souvent des expatriés occidentaux) peuvent proposer des thérapies psychanalytiques à une clientèle expatriée ou aisée.
En Irak, Syrie, Jordanie, les décennies de conflits et de tensions n’ont pas permis l’émergence de la psychanalyse. Quelques psychiatres syriens ou irakiens avaient une formation psychanalytique dans les années 1960-70, mais les guerres successives ont dispersé ces élites. On peut noter tout de même qu’en Irak des livres de Freud en arabe étaient disponibles dès les années 1970 à l’université de Bagdad, sans que cela dépasse le cadre académique.
Au total, le Moyen-Orient n’a pas constitué un terrain propice à une large diffusion de la psychanalyse, à l’exception d’Israël (culture occidentale importée) et du Liban (foyer libéral et francophone). Ailleurs, le poids de la religion, l’autoritarisme politique ou simplement d’autres traditions explicatives de l’âme (par exemple l’influence de la poésie mystique ou de la médecine prophétique) ont fait écran. Toutefois, les idées psychanalytiques continuent d’y circuler dans certains milieux (universités, arts) et pourraient connaître de nouvelles fortunes si des processus de libéralisation culturelle s’amplifient dans l’avenir.
Océanie
L’Océanie, marquée par la présence de nations occidentales (Australie, Nouvelle-Zélande) et de petites îles aux cultures autochtones, a une histoire psychanalytique concentrée essentiellement en Australie et, dans une moindre mesure, en Nouvelle-Zélande. Ces pays, de tradition anglophone, ont importé la psychanalyse dans le prolongement de la Grande-Bretagne.
Australie
L’Australie a développé assez tôt un mouvement psychanalytique, grâce notamment à l’arrivée de psychanalystes européens pendant et après la Seconde Guerre mondiale. En 1938, le psychanalyste anglais Ernest Jones (alors président de l’API) soutient le projet d’envoyer des analystes réfugiés en Australie, considérant que ce pays pourrait devenir un nouveau pôle psychoanalysisdownunder.com.au. En 1940, la psychiatre hongroise Clara Lazar Geroe s’installe à Melbourne ; formée à Budapest, elle devient la première psychanalyste didacticienne d’Australie en.wikipedia.org. Sous son impulsion, l’Australian Psychoanalytical Society (APAS) est fondée en 1940 à Melbourne, puis officialisée en 1951 comme composante de l’API. Parallèlement, un psychiatre australien, Roy Coupland Winn, pratiquait la psychanalyse à Sydney dès les années 1930, ce qui a mené à la création d’un groupe psychanalytique à Sydney. Ainsi, deux foyers principaux se dessinent : Melbourne et Sydney, qui concentrent la majorité des psychanalystes du pays.
L’Australie étant géographiquement isolée (« la tyrannie de la distance »), la communauté psychanalytique a longtemps vécu en vase clos, mais elle a su maintenir des liens avec Londres (les analystes australiens allaient souvent se former en Angleterre jusque dans les années 1970). La psychanalyse a trouvé sa place dans le paysage médical australien de l’après-guerre, surtout en pratique libérale. Dans les universités, elle a été moins présente, car l’Australie a rapidement embrassé les approches behavioristes et biologiques sous l’influence américaine. Néanmoins, la psychanalyse a influencé la culture australienne : des romanciers et cinéastes (par ex. la cinéaste Jane Campion en Nouvelle-Zélande voisine) ont exploré des thèmes freudiens dans leurs œuvres.
De nos jours, l’Australie compte plusieurs dizaines de psychanalystes certifiés, regroupés au sein de l’APAS (membre de la Fédération européenne de psychanalyse, étonnamment, car historiquement affiliée à la mouvance européenne) fr.wikipedia.org. La pratique continue dans les grandes villes, avec possiblement une ouverture plus grande à des patients de classes moyennes qu’autrefois. Il existe aussi des variantes : l’Australie a vu se développer la psychothérapie d’inspiration analytique (moins rigide que la cure-type, plus accessible), et quelques initiatives d’intégration de la psychanalyse avec les savoirs autochtones aborigènes ont même été tentées dans un esprit de réconciliation culturelle.
Nouvelle-Zélande
En Nouvelle-Zélande, la psychanalyse n’a jamais eu le même rayonnement qu’en Australie, mais elle a été introduite par le truchement de psychiatres formés à Londres. Dès les années 1940, des praticiens néo-zélandais intéressés par Freud existent, mais c’est surtout après 1960 que quelques psychanalystes (souvent anglais ou australiens) s’installent à Auckland ou Wellington. La Nouvelle-Zélande a longtemps fait appel aux ressources australiennes pour la formation : ainsi, des candidats néo-zélandais se sont formés via l’APAS australienne. Il n’y a pas à proprement parler de société psychanalytique autonome en Nouvelle-Zélande jusqu’à récemment, mais un groupe local associé. La diffusion y reste confidentielle, du fait de la petite taille de la population et d’un certain pragmatisme culturel néo-zélandais peu enclin aux longes psychanalyses. Néanmoins, la psychanalyse a pu inspirer des domaines comme l’éducation (par ex. des programmes parentaux inspirés de Winnicott) ou l’art (le surréalisme néo-zélandais a eu des adeptes freudiens).
Enfin, dans le reste de l’Océanie (îles du Pacifique), on ne peut parler d’implantation réelle. Les pratiques traditionnelles de soins de l’âme (chamans, etc.) y prédominent, et les systèmes de santé mental se limitent souvent à la médication de base. La psychanalyse y est quasi-inconnue en dehors peut-être de quelques références scolaires ou chez des expatriés.
Conclusion : Tendances mondiales et dynamiques récentes
Au terme de ce tour d’horizon historique, plusieurs grandes tendances mondiales de l’implantation de la psychanalyse se dégagent. Tout d’abord, il apparaît que la psychanalyse a fleuri dans les sociétés occidentales libérales (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Amérique latine) là où le contexte culturel et politique permettait l’exploration de la vie psychique individuelle. En revanche, elle a rencontré de fortes résistances ou interdictions sous les régimes autoritaires ou totalitaires du XXe siècle – qu’il s’agisse du nazisme qui a persécuté la psychanalyse pour des raisons raciales et idéologiques (livres brûlés et analystes contraints à l’exil en 1933 encyclopedia.ushmm.org), du stalinisme qui l’a bannie en URSS en la taxant de non-conformité au matérialisme dialectique fr.wikipedia.org, ou du maoïsme chinois qui l’a exclue pendant trois décennies en la remplaçant par la doctrine politique et les thérapies de masse firingthemind.com. De même, dans des contextes théocratiques ou très conservateurs, la psychanalyse – avec son insistance sur la sexualité et l’inconscient – a souvent été regardée avec suspicion, voire rejetée au nom de la religion ou des mœurs (par exemple, son faible essor en Arabie saoudite ou dans certains pays du Golfe).
En contraste, on constate que la psychanalyse a parfois trouvé un refuge et un nouvel élan dans des terres éloignées de son berceau. L’Argentine en est l’exemple emblématique, ayant intégré la psychanalyse au cœur de sa culture urbaine argentina-excepcion.com. De façon générale, l’Amérique latine a été très réceptive, développant ses propres écoles et figures psychanalytiques. L’Afrique du Sud, après l’apartheid, montre qu’avec volonté et adaptation, la psychanalyse peut s’implanter même là où initialement elle semblait étrangère, en répondant aux besoins post-traumatiques et en luttant contre l’élitisme sigourneyaward.org sigourneyaward.org.
Une autre tendance marquante est l’évolution du statut de la psychanalyse par rapport aux autres disciplines de la santé mentale. De dominante qu’elle était dans les années 1950 dans certaines régions (Europe, USA) en.wikipedia.org, elle est devenue une approche parmi d’autres, souvent challengée par les thérapies cognitivo-comportementales et les psychopharmacologies. Partout dans le monde occidental, on observe depuis les années 1980 une relative érosion de l’influence institutionnelle de la psychanalyse au profit d’approches dites plus “scientifiques” ou standardisées. Cela n’a pas entraîné sa disparition, mais une reposition du cadre psychanalytique : davantage pratiqué en libéral qu’à l’hôpital, plutôt auprès d’un public volontaire et éduqué que comme traitement de masse. Néanmoins, la psychanalyse a su se renouveler et s’exporter sous des formes variées : psychothérapies psychodynamiques brèves, psychanalyse de groupe, extension aux champs de la culture (analyse de films, de mythes, etc.), ce qui lui permet de conserver une présence intellectuelle.
Les décennies récentes montrent aussi un mouvement de “décolonisation” de la psychanalyse. Longtemps perçue comme eurocentrée, la psychanalyse est progressivement appropriée par des cultures non-occidentales qui la métissent avec leurs propres références. On l’a vu avec la psychothérapie taoïste en Corée journals.openedition.org, les réflexions iraniennes liant inconscient et soufisme, ou les psychanalystes arabes explorant les liens entre Freud et la tradition islamique psychiatryonline.org. Ce phénomène indique que la psychanalyse n’est pas figée : elle voyage et se transforme, suscitant parfois l’ire des gardiens de l’orthodoxie mais ouvrant des perspectives nouvelles. Comme le souligne un projet récent de « cartographier les usages subversifs de la psychanalyse ailleurs qu’en Occident » mediapart.fr, il s’agit de sortir du schéma diffusionniste unilatéral et de reconnaître les apports réciproques entre la psychanalyse et les cultures du « reste du monde ».
Enfin, notons que la psychanalyse continue d’être tributaire des conjonctures politiques. Les périodes de liberté d’expression, de bouillonnement intellectuel, profitent à sa diffusion (ex : printemps arabes ayant permis quelques débats sur Freud, ouverture de la Chine facilitant l’installation d’analystes étrangers, etc.), tandis que les replis identitaires ou autoritaires la font refluer. À l’ère actuelle, où de nombreux pays connaissent des questionnements identitaires, des traumatismes collectifs (pandémie, guerres) et une quête de sens face à la modernité, la psychanalyse conserve un atout : celui d’offrir une grille de lecture de la subjectivité humaine dans toute sa complexité, irréductible aux seuls chiffres ou protocoles. C’est pourquoi, malgré les résistances, elle demeure pratiquée, enseignée ou du moins débattue sur tous les continents, de façon inégale certes, mais réelle. En résumé, la carte mondiale de la psychanalyse est en perpétuelle reconfiguration, reflétant les tensions entre universalisme d’une théorie de l’inconscient et particularismes culturels de son accueil, mais témoignant de la persistance du besoin universel de compréhension de soi que Freud avait su formaliser.
Sources : Les informations ci-dessus s’appuient sur de nombreuses sources, notamment des études historiques et des rapports contemporains sur la psychanalyse dans chaque région du monde, dont une sélection a été citée en référence pour exemplifier les points évoqués. argentina-excepcion.com fr.wikipedia.org firingthemind.com lorientlejour.com a2ip-psychanalyse.orgCes références illustrent respectivement l’exceptionnelle densité de psychanalystes en Argentine, l’interdiction sous Staline en URSS, l’exclusion totale en Chine maoïste, l’essor récent de la psychanalyse en Turquie, ou encore la renaissance de la demande psychothérapeutique en Iran post-1980. Elles viennent appuyer de façon concrète les grandes tendances dégagées dans cette étude globale.
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